Une rencontre

C’est l’après-midi. Le Catholic Register sous le bras, un hebdomadaire catholique de Toronto, j’entre dans un café, et je me commande une tisane à la menthe. Puis je m’installe dans un coin.
Habitant au même endroit depuis maintenant des années, je me suis souvent aperçu que plus de gens me connaissent ou me reconnaissent que moi je les connais ou reconnais. Être simplement un curé de paroisse nous donne une personnalité publique que je n’avais pas auparavant.
Je m’en suis encore aperçu au moment où un homme d’une quarantaine d’années est venu s’asseoir non loin de moi, lui aussi avec quelque chose à boire, et qui m’interpelle en me demandant en anglais si j’habite bien la rue Fairmont, lui-même y demeure, si je suis dans la communauté franciscaine qui se trouve là, etc.
Pas antipathique, puisqu’il a lié conversation avec moi, mais pas spécialement intéressé. D’emblée, il me dit qu’il a été élevé catholique, mais….il n’achève pas sa phrase. Je lui dis qu’il est toujours bienvenu s’il a des questions. Il se contente de sourire.
Après avoir parlé quelque peu du café Francis qui existe au sous-sol de l’église et qu’il n’avait jamais remarqué malgré que ca existe depuis quatre ans, et malgré les panneaux installés pour souligner son existence, la conversation devint de plus en plus banale, et puis après un moment, la fin de la courte conversation fut signalée lorsqu’il sortit son téléphone et commença à pianoter dessus, distraction devenue universelle si vous sortez de votre maison quelques minutes seulement…
Qu’est-ce que je faisais dans un café? Je trouve bon pour l’équilibre humain de sortir des quatre murs, de ne pas rester enfermé toujours. Le pape François a exhorté l’Église à aller vers la périphérie. Bon, cette fameuse périphérie, elle n’est pas si facile que ça à rejoindre, mais j’ai eu le sentiment d’avoir expérimenté quelque peu une rencontre avec la périphérie, c’est-à-dire des gens éloignés depuis toujours, j’oserais dire de L’Église. Je ne me vante pas d’un grand succès apostolique. Mais je ne fuis certainement pas les occasions que la Providence me présente.
Toutefois, cette rencontre me laissa songeur. Cet homme est un agent immobilier. Et manifestement n’a pas de questionnement existentiel.
Comment se fait-il que des hommes comme lui ou des femmes peut-être, passent leur vie, semble-t’il, sans se poser les questions déterminantes? « Pourquoi sommes-nous sur terre? »
Lorsque nous sommes enfants, touts petits, nous passons par une période où tout nous questionne. Je me souviens de ma cousine Julie qui ne cessait pas de poser des pourquoi jusqu’à ce que les adultes n’aient vraiment plus aucune réponse à offrir.
J’ai l’impression que très tôt, certaines personnes se disent qu’il y a des questions dans la vie qui vont toujours rester sans réponse et qui refusent de réfléchir et qui n’acceptent pas non plus de se connaitre eux-mêmes, puisque cette connaissance peut s’avérer dérangeante.
Et il y a aussi la technologie actuelle qui rajoute des distractions à ceux qui ne veulent pas rester proches de leurs interrogations.
Pascal, un homme brillant, un français qui vécut il y a 350 ans, écrivait déjà :
La seule chose qui nous console de nos misères est le divertissement, et cependant c’est la plus grande de nos misères. Car c’est cela qui nous empêche principalement de songer à nous, et qui nous fait perdre insensiblement. Sans cela, nous serions dans l’ennui, et cet ennui nous pousserait à chercher un moyen plus solide d’en sortir. Mais le divertissement nous amuse, et nous fait arriver insensiblement jusqu’à la mort.
Oh, là, là! Que ne dirait-il aujourd’hui? On dirait que tout est mis en scène pour que nous nous arrêtions le moins possible au principal, à l’essentiel. Jusque dans les résidences du 3e âge où le coté spirituel semble négligé, alors que les loisirs sont à l’honneur.
J’admire la lucidité de Pascal. N’attendons pas d’avoir 75 ans pour se poser les vraies questions.